Article du Figaro du 21 juillet 2022
Hyères, la seule ville où Robert Louis Stevenson fut heureux
Par Mohammed Aïssaoui
Entre le Var et Robert Louis Stevenson, c’est une vieille histoire.
LA RIVIERA, TERRE D’ÉCRIVAINS (4/6) – Atteint d’une maladie pulmonaire, l’auteur de L’Île au trésor trouvait l’apaisement dans la cité
varoise.
À partir de la fin des années 1920, la Côte d’Azur est devenue un refuge et un lieu d’inspiration pour des auteurs britanniques et américains.
Une marque de respect
4, rue Victor-Basch. La villa est flambant neuf, comme si elle avait été ravalée il y a quelques semaines. Elle est écrasée par la lumière. De l’extérieur, on aperçoit un magnifique jardin et nombre de parasols. C’est chic. On aurait voulu y entrer, mais personne ne répond. En s’approchant, on découvre à l’entrée une plaque ronde et bleue sur laquelle est inscrit en lettres capitales et en anglais : «Ici durant 1883-1884 a vécu l’auteur anglais Robert Louis Stevenson. Il a déclaré “Je n’ai été heureux qu’une seule fois, et c’était à Hyères”.»
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Ah ! preuve qu’on n’a pas totalement oublié le grand romancier. On est touché par cette marque de respect. L’ancien Hôtel des Îles d’or n’est pas loin, on tente une petite expédition. Le superbe immeuble tout peint de ce jaune provençal est devenu un ensemble d’appartements dans lequel est hébergée une grande compagnie d’assurances. À côté, il y a un hôtel Les Orangers. On y entre, et l’hôtesse d’accueil, à moins que ce ne soit la responsable de l’établissement, nous renseigne : « Ici, ce n’est pas l’Hôtel des Îles d’or, mais ses anciennes dépendances transformées en hôtel. Oui, Stevenson y venait. Et la reine Victoria, aussi. »
L’office de tourisme devrait recruter, Jean-Luc Pouliquen. En cet homme, il découvrirait un guide passionnant. Il a écrit un livre autoédité (et traduit en anglais) tout simplement titré Robert Louis Stevenson à Hyères. Il fourmille d’anecdotes savoureuses et d’informations précieuses.
L’écrivain Robert Louis Stevenson.
Une vieille histoire
Dans ce livre, on trouve des descriptions de La Solitude. Ainsi, Jean-Luc Pouliquen dévoile-t- il une lettre datée du 2 mars 1883, adressée par l’écrivain à sa mère depuis l’Hôtel des Îles d’Or : « Logement : Nous avons trouvé une maison en haut de la colline, près de la ville, un endroit idéal, bien que très, très petit. Si je peux obtenir du propriétaire d’accepter de nous la laisser au mois dès maintenant, et de laisser notre loyer compter pour l’année dans le cas où nous la prenons, vous pouvez vous attendre à ce que nous soyons de nouveau installés et recevoir une lettre datée ainsi : La Solitude Hyères-les-Palmiers Var. Si l’homme n’accepte pas, bien sûr je dois renoncer, car la maison serait de toute façon assez chère à 2000 F. Cependant, j’espère que nous pouvons l’obtenir, comme c’est sain, gai et près des commerces, de la société et de la civilisation. Le jardin, qui est au-dessus, est charmant et sera frais en été. Il y a deux pièces en bas avec la cuisine et quatre chambres en haut, tout est dit. Votre fils affectueux. »
Entre le Var et Stevenson, c’est une vieille histoire. L’Écossais avait connu très tôt dans sa vie la côte méditerranéenne française : «En 1863 (il a 13 ans), pour cause de santé défaillante de sa mère, il était venu en famille à Nice, puis à Menton. Le séjour s’était ensuite prolongé en Italie. Pour se rendre à Cannes, la famille avait pris le train à Toulon, où elle avait passé une nuit à l’Hôtel de l’Amirauté », souligne Jean-Luc Pouliquen.
L’Île au trésor, autres récits, collection «Bouquins»/ Robert Laffont, 1114 p., 30 €. Robert Laffont
La cité varoise a un autre avantage pour l’écrivain, qui ne roule pas sur l’or – L’Île au trésor allait paraître durant son séjour dans le Sud : la vie hyéroise est peu coûteuse et permet au couple formé avec Fanny Osbourne de vivre convenablement malgré un budget restreint. Et Pouliquen de raconter : « Fanny se heurte chaque jour à l’exiguïté de la maison, particulièrement dans la cuisine où elle se sent menacée de tous côtés. Elle doit à la fois éviter d’être brûlée par le fourneau et de s’empaler sur les crochets à
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casseroles. Lorsqu’il y a un invité, dans la salle à manger, il faut passer les plats par-dessus sa tête ! »
Avant de devenir l’écrivain que l’on connaît, Stevenson a donc pas mal bourlingué et découvert d’autres cultures
Le couple ne recevait pas beaucoup de monde, ceux qui venaient le plus souvent étaient un médecin et un pharmacien… « Les deux relations les plus proches du couple
appartiennent donc au personnel de santé et ce n’est pas un hasard», ajoute Jean- Luc Pouliquen. Il faut rappeler que Stevenson, comme son père et son grand-père, était destiné à devenir ingénieur dans la construction maritime. Mais sa santé chétive et le climat écossais ont empêché ce destin tout tracé. Enfant, il n’a pas cessé de lire les grands auteurs de romans d’aventures, de Walter Scott à Alexandre Dumas en passant par les récits de piraterie de C.Johnston. Et, plus tard, comme sa mère malade, il préférera le Sud méditerranéen, pour tenter d’apaiser sa maladie pulmonaire. Stevenson a beaucoup voyagé, est-ce un hasard si son premier livre est Un voyage sur le continent, publié en 1878, à l’âge de 28 ans ?
Avant de devenir l’écrivain que l’on connaît, Stevenson a donc pas mal bourlingué et découvert d’autres cultures. Il a d’abord quitté sa famille rigoriste comme on fugue. Très jeune, il a mené une vie de bohème, puis a repris l’université pour des études de droit, il aurait dû être avocat, mais il n’a jamais exercé ! C’est la rencontre avec Sidney Colvin, critique littéraire devenu l’un de ses amis, qui a tout déclenché – c’est à lui que Stevenson a confié qu’il n’avait été heureux qu’à Hyères. Colvin est le dédicataire de Voyage avec un âne dans les Cévennes.
Quand il devient citoyen de la ville d’Hyères, Stevenson écrit au maire (qui est pharmacien !) pour le sensibiliser aux conditions sanitaires de la vieille cité. Dans ses ruelles étroites et malodorantes prospèrent le typhus, la variole, le choléra et d’autres maladies, l’écrivain plaide donc pour un nettoyage complet de ces lieux insalubres. Et, comme d’autres habitants, Stevenson sera atteint d’« ophtalmie égyptienne contagieuse» qui risque de le rendre aveugle. « Fanny nous fait part de l’extraordinaire force de caractère de son mari, écrit Pouliquen. Lorsqu’il la voyait désespérée, il avait souvent ses mots pour elle : “Allons, si seulement tu examinais les choses sous le bon éclairage, tu verrais que c’est ce qui pouvait nous arriver de mieux.”» En 1887, même s’il ne tient plus debout, il décide de voyager en Océanie et découvre les îles Marquises, Tahiti et les Samoa, dont il tombe amoureux et où il s’installe. Il trouve la force d’écrire Dans les mers du Sud et Le Trafiquant d’épaves. Le 3 décembre 1894, il meurt d’apoplexie. Comme il l’a souhaité, il est enterré au mont Vaea (île d’Upolu, archipel de Samoa), face à la mer.
Carnet de route • Hôtel les Orangers
64, avenue des Îles-d’Or. Téléphone : 04.94.00.55.11. Pour le charme, et parce que c’étaient les anciennes dépendances de l’Hôtel des Îles d’Or, où est passé Stevenson.
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• Librairie Charlemagne
19, avenue des Îles-d’Or. Téléphone : 04.94.65.27.05. Superbe librairie. Il faut y flâner, s’y perdre et se retrouver avec au moins un livre à la sortie.
• Les calanques de Giens et de Porquerolles
Office de tourisme: 04.94.01.84.50. On ne peut aller à Hyères et ne pas se rendre à la presqu’île de Giens et à l’île de Porquerolles (et d’autres), même pour une journée, cela vaut le détour.
Bio express
• 1850. Naissance à Édimbourg, en Écosse.
• 1879. Publie Voyage avec un âne dans les Cévennes.
• 1880. Épouse Fanny Osbourne, rencontrée à Fontainebleau en 1876. • 1883. S’installe à Hyères. Publie L’Île au trésor.
• 1886. Publie L’Étrange Cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde.
• 1887. S’installe à Apia, dans l’île d’Opulu, dans les Samoa.
• 1894. Meurt aux îles Samoa, le 3 décembre.